Osama et le camp de réfugiés

Rights & dissent

Dans la ferme et son camp d’été où je travaille, là-haut, sur la montagne, les enfants sont partis, de nouveau, comme l’année passée. La montagne a tremblé de leur musique, absorbant la sève de leurs rêves les plus fous, les plus simples ; dépasser les frontières, aller jusqu’à la mer, et peut-être même, un jour, goûter la liberté.

Osama a pris soin des plus jeunes lui aussi. Enfant du camp de réfugiés Al Azza de Bethléem, aujourd’hui il hurle sa hargne de vivre… vingt-deux années et l’esprit qui en vaut bien cinquante. Parce qu’il lui est insupportable d’entendre dire, à l’autre bout du monde, que son pays n’est pas, n’est plus, n’est rien. Et « pauvres palestiniens » mais personne ne bougera le petit doigt. Osama joue et s’exclame sur les scènes des petits théâtres de Bethléem. Osama manifeste, Osama danse, écrit, lit, et salue la plupart des citoyens de la petite ville qui croisent notre chemin.  Il s’en va en Allemagne, pour deux semaines. Une première fois en Europe… et c’est l’avion qui le fait le plus rêver ; parce qu’une fois en vol, il touchera vraiment du doigt la liberté.

Osama me guide dans les quartiers de son enfance. Le camp – le plus petit et le plus dense de la Palestine – s’apparente aujourd’hui comme une extension de Bethléem. Les tentes, elles étaient là en 1950. Aujourd’hui ce sont des murs toujours plus étroits, qui se grimpent dessus, toujours plus hauts. Tout le monde semble se connaître, le connaître, et il se baisse pour soulever le pack d’eau trop lourd d’une femme aux yeux pétillants. Elle voudrait m’inviter prendre le thé. Derrière, plus loin, partout, un enfant, deux, trois  jouent avec tout, avec n’importe quoi, et se cachent derrière un muret. Les voisins se soutiennent, la communauté tiendra. Mais quelle que soit l’allure de ces camps – maisons, immeubles, taudis ou tentes – « être réfugié » tient de l’insupportable, inégalité qui fait pleurer. Des ghettos, me dit-il, des ghettos…

Osama a renvoyé la religion, loin de lui, de son cœur. Sa famille faisait le Ramadan, mais qu’importe. Pour lui, Dieu s’appelle autrement, et cela suffit. Osama ne croit qu’en la justice pour l’Homme, par l’Homme, loin des livres sacrés qui éblouissent à aveugler.

Puis retour aux taxis, aux bus pleins à craquer. Descendre au grand tournant après avoir longé une partie du mur. Un petit homme, un sac à dos et quelques pains dans des sacs plastiques, est descendu avant moi. Ghassan est archéologue et rejoint son village de Nahalin. Grâce à son visa Israélien, Ghassan fait partie de ces Palestiniens qui goûtent un peu plus à la liberté, au prix de leur identité. Très vite on se présente. Il préfère ce chemin pour rejoindre le village, car les paysages valent bien les tableaux du MoMA, du Louvre et des musées d’Histoire. Les ordures jetées par ses concitoyens l’énervent au plus haut point : ils ont jonché le chemin qui mène à la ferme de déchets sans noms aux odeurs putrides. « Trier ses déchets, c’est prendre des responsabilités,  et ils en sont parfois incapables ; à l’image de leur irresponsabilité à ne pas mettre tout en œuvre pour la construction de leur propre pays, satisfaits de leur soumission incroyable… » Ghassan voudrait tellement plus pour son village et son pays… mais l’énergie semble manquer à ces derniers. Ils peinent et sont fatigués.

La ferme est déjà là, je salue le petit homme et me faufile sous la grille. Karen et Karel, ainsi qu’une nouvelle, une espagnole, me retrouvent, puis Karel me porte, fou de joie à la vue des quelques bières rapportées de la ville que j’extrais de mon sac. Joies simples. Ils font de leur mieux. Ils donnent un peu et soufflent, toujours, sur ce monde, pour le pousser. Alors que le soleil disparaitra sur l’horizon et que la brise soufflera des chants de victoire, nous irons donner à boire aux jeunes arbres naissants ; car comme c’était gravé sur les lèvres d’une tzigane au sourire d’argent, jadis, en Hongrie : « C’est l’espoir qui meurt en dernier. » Et les arbres ont poussé.

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