Saint-Balech

Kfarabida, mon amour

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« 15 dollars l’entrée… 20 dollars avec boisson… 20 dollars sans boisson… 40 dollars par personne, ah, vous êtes accompagnés de votre enfant, il a quel âge ? 16 ? Désolé, ce ne sera pas possible, l’établissement est interdit aux mineurs. »

On se croirait devant des entrées de boîtes de nuit et pourtant nous sommes juste à quelques mètres de Kfarabida, un village dans le Nord-Liban, connu pour son bord de mer rocheux. Ces tarifs sont les prix d’entrée pour accéder aux galets, aux rochers, et nager.

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La mer et le Liban, c’est une longue histoire. Pourra-t-on se baigner cet été ? C’est la question que tout le monde se pose chaque année. Infestée de bactéries, la Méditerranée libanaise souffre de l’homme, toujours prêt à lui déverser ses déchets.

Mais omettons un instant ce problème et imaginons que nous y plongions les yeux fermés. Nous voici dans l’eau avec le bord de mer face à nous, que voit-on ? Des plages privatisées. Encore et encore. Encore et encore.

Sous le mandat français, la loi 144/S du 10 juin 1925 a garanti à tous les citoyens le droit d’accès à la mer. Il était interdit de construire en dessous du point le plus haut atteint par les vagues en hiver. A croire qu’en un siècle les hivers sont devenus estivaux à Beyrouth, où il ne reste plus qu’une seule plage vierge, Ramlet El Bayda. Cette loi, toujours en vigueur, a été violée de nombreuses fois et comme souvent la victime a gardé le silence.

La tentative de privatisation de cette dernière plage de sable a créé un tollé et a réveillé la société civile qui se mobilise pour empêcher obtenir l’abandon de ce projet.

Mais les endroits éloignés de Beyrouth n’attirent pas la même attention. Quand on me demande d’où je viens, au Liban, je réponds parfois Kfarabida. C’est un petit mensonge qui justifie cependant une vérité. Les mois d’été au Liban, je les passais dans ce village, celui de ma mère. Mon nom de famille est originaire de Beit Chabab, un village perché dans la montagne Libanaise, l’antre de mon père mais au fond de mon coeur dominent incontestablement les plages de Kfarabida.

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Je me souviens encore de la côte vierge autour de Kfarabida. Souvenir inoubliable, pour un amoureux de la mer, d’un long littoral où pêcheurs, familles et plongeurs se rassemblaient. Quelques « Saint-Balech »  (plages non-payantes, balech signifiant gratuit en arabe) persistent aujourd’hui même si une grande partie a disparu et été remplacée par des complexes et des plages privatives: Saint-Georges, Saint-Michel, Orchid et j’en passe.

Que faire face à ces privatisations ? Tandis que j’écris ces lignes, c’est au tour de Kfarabida d’être la cible du gouvernement pour transformer ses rochers sauvages en une énième plage privée et un yacht club. Pour dénoncer la manoeuvre, un rassemblement sera organisé samedi prochain sur le site en péril .

Ces images tirées d’archives familiales et de clichés personnels sont un hommage aux plages gratuites de Kfarabida où nombreux sont ceux qui ont appris à nager, boire et aimer. C’est également, de manière plus personnelle, un témoignage d’amour à ma mère qui m’a transmis l’amour du grand bleu et avec qui nous nous sommes promis de nous retrouver ici après notre mort

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