Profession : ange-gardien

Le samedi 18 décembre est la Journée Internationale des Migrants. Pendant toute la semaine, Mashallah publie des articles sur le thème des migrations mettant en relief divers aspects de ce phénomène. Aujourd’hui, les travailleurs domestiques à Beyrouth.

Arrivé au Liban en tant que domestique free-lance il y a une dizaine d’années, Dipendra Uprety, originaire du Népal, est devenu l’improbable ange-gardien des domestiques étrangères de son pays d’adoption. Après un passage par la clandestinité et par la prison, Dipendra a réussi à obtenir le statut de consul honorifique. Depuis, il veille quotidiennement sur les nombreux cas d’abus recensés parmi ces jeunes filles isolées. La tâche est ardue : au Liban, plusieurs nouveaux cas de maltraitance surviennent chaque semaine.

Domestique free-lance

Népalais d’une trentaine d’années au visage poupin, Dipendra Uprety a tout du gendre idéal avec sa coupe de cheveux au carré et sa veste en cuir souple. Loin de porter sur lui les stigmates de celui qui a connu la galère, il a les traits souriants, même quand il évoque son passage en prison.

Quelques mois après son arrivée au Liban en qualité de « domestique free-lance »* pour un salaire de 225$ par mois, Dipendra travaille chez un employeur qui refuse de lui faire prolonger son visa, sans motif valable. Le jeune homme lui verse sur plusieurs mois une somme totale de 1600 dollars, à son patron pour qu’il lui procure des papiers en règle. Sans que, pour autant, la situation ne change. Dipendra se résout alors à quitter le domicile de son employeur et, ainsi, devient immigrant clandestin sur le territoire libanais.

Dipendra se résout alors à quitter le domicile de son employeur et, ainsi, devient immigrant clandestin sur le territoire libanais.

Après un an de petits boulots au noir dans des hôtels de Beyrouth Ouest, Dipendra est arrêté à un checkpoint et conduit en prison. « Mes papiers n’étaient pas en règle, c’est normal », précise-t-il avec calme. Le jeune népalais demande simplement aux autorités que son employeur soit questionné. Mais l’homme n’est pas inquiété et c’est grâce à l’aide d’un ami, qui lui avance les frais d’avocat, que Dipendra parvient à être libéré cinq mois plus tard.

Depuis, excepté le soir, où il travaille dans un restaurant « pour payer le loyer », Dipendra se consacre entièrement à la cause des domestiques étrangers**. « J’ai vu tellement de domestiques en prison. Tous tellement maltraités. Surtout les filles. », se souvient Dipendra. Car en prison, les domestiques étrangères sont légion. Celles qui ont fui le foyer de leurs employeurs sont, à l’exception d’une minorité hébergée par des ONGs, incarcérées pour « rupture de contrat », au mépris des abus relatés.

« J’ai vu tellement de domestiques en prison. Tous tellement maltraités. Surtout les filles. »

Consul honorifique

C’est à force de se rendre tous les jours à la cour de justice de Beyrouth que Dipendra Uprety finit par obtenir le statut de consul honorifique auprès du consulat du Népal. Il le prouve en exhibant avec fierté les lettres officielles tamponnées à son nom. Le consul, un libanais qui ne parle pas un mot de népalais, s’accommode très bien de cette aide providentielle, gratuite pour le consulat — car Dipendra est bénévole.

Jamais il ne relâche son rôle de veille en se faisant, entre autres, un devoir quotidien de passer les portes de « l’Adlieh », la prison de la Sûreté Générale de Beyrouth. Pourtant voisin du musée national de Beyrouth et de l’ambassade de France, ce géant de béton est encastré entre une voie rapide et une autoroute. Construite en souterrain, son architecture bafoue de facto les droits élémentaires des prisonniers qui l’occupent : ceux-ci ne peuvent pas voir la lumière du jour depuis leurs cellules. Les visites de Dipendra assurent aux anciennes domestiques détenues un repas substantiel par jour : l’eau et la nourriture ne peuvent être retirées arbitrairement des mains d’un représentant diplomatique, fut il honorifique.

Les visites de Dipendra assurent aux anciennes domestiques détenues un repas substantiel par jour.

… et ange-gardien

Le dernier cas date de la veille de l’interview. Dipendra tend son téléphone portable sur lequel on peut voir la photo d’une jeune asiatique, recroquevillée dans un lit d’hôpital. Son nez et ses bras sont couverts de tubes en plastique. Il s’agit d’une népalaise, retrouvée à l’hôpital en mauvaise condition, après que son employeuse l’a poussée du haut du balcon. Cette dernière a soutenu que sa nouvelle employée « avait des problèmes psychologiques ». La jeune fille n’avait commencé son contrat chez elle que quatre jours plus tôt.

Le bouche à oreille efficace de la communauté népalaise a naturellement mis Dipendra au courant de ce nouveau « cas ». Le médecin, lui, n’a pas jugé bon de signaler l’état préoccupant de sa patiente à la police. Par racisme ou par corruption ? « Difficile à prouver », commente Dipendra sombrement. Il est le premier à se rendre à l’hôpital et à alerter l’ONG libanaise Caritas, dont l’un des principaux chevaux de bataille consiste à favoriser l’accueil des domestiques étrangères en fuite et avec laquelle Dipendra collabore régulièrement. Une enquête sera alors lancée par l’un des avocats de l’ONG auprès de la police.

Le ministre de l’intérieur libanais a certes promis des changements, mais Dipendra n’est pas optimiste.

Le ministre de l’intérieur libanais a certes promis des changements, mais Dipendra n’est pas optimiste. Si le travail dans une maison privée était reconnu au Liban comme un travail officiel, explique Dipendra, les domestiques pourraient enfin sortir de l’actuel système de sponsor qui enferme les travailleuses dans une relation avec leurs employeurs relevant de la propriété. Si les mesures attendues et promises tardent, c’est pour une raison simple : près de 400 agences proposent les services de domestiques étrangères – elles sont légion dans le reste du Liban également, et encore moins contrôlées par l’Etat qu’à Beyrouth. Ces organismes touchent 50 à 60% des frais de dossier, soit 2000 à 2500$ par domestique recrutée ! Les domestiques étrangères représentent un marché très lucratif dont beaucoup, au Liban, ne souhaitent pas la disparition.

* A la différence des autres domestiques, les domestiques free-lance ne vivent pas 24/24 chez leur employeur. Même si leurs conditions de travail sont elles aussi très dures, le ou la domestique jouit ainsi d’une liberté relative : il loue un appartement, fait ses propres courses, a des horaires de travail. C’est généralement la condition à laquelle espèrent accéder les domestiques employés à temps plein.

** Bien que le témoignage de Dipendra soit ici mis en exergue, et montre ainsi que des hommes travaillent en qualité de domestique, ceux-ci sont extrêmement minoritaires et statistiquement moins sévèrement touchés par les problèmes de violence physique. C’est pourquoi on tend à parler de « domestiques étrangères ».

 

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