Bahadir, jeune, gay et Turc

Nirvana, painting by Turkish artist Taner Ceylan

Bahadir est un jeune homme de 20 ans, étudiant et homosexuel. De sa ville natale de Mersin aux nuits folles de Taksim, sa trajectoire est à la fois singulière et représentative de nombreux jeunes homosexuels turcs fuyant la province pour Istanbul et ses promesses de liberté.

« Je m’appelle Bahadir. J’ai eu l’opportunité d’aller à l’université de Cologne en Allemagne mais à cause de problèmes de visas je suis ici à Istanbul et j’étudie la langue et la littérature allemande. J’ai vingt ans et après avoir fini mes études en Turquie, je veux aller à Cologne pour faire une école d’ingénieur en informatique. Et, je suis homosexuel !

Avant de venir à Istanbul, je rêvais tout le temps d’Istanbul mais quand je suis arrivé, ce n’était pas comme je l’imaginais. Je suis né et j’ai grandi à Mersin (port du Sud du pays). En général, la Turquie est un pays homophobe et Mersin aussi. Pour te sauver de Mersin, Istanbul est la solution, bien que ce soit toujours une ville homophobe. À Istanbul, l’endroit le plus sûr est Taksim (centre culturel et nocturne de la ville).

J’habitais avec ma famille à Mersin, un endroit un peu antipathique et froid. Je voulais faire un peu la fête mais ce n’était pas possible. Il y avait aussi beaucoup de préjugés : les gens me jugeaient sans me parler. C’était difficile. Je ne voulais pas que ma famille soit au courant de mon homosexualité. Quand une famille est au courant de l’homosexualité de son enfant, celui-ci n’a que deux choix : soit il part vivre seul, soit sa famille le tue. J’ai quitté Mersin pour cacher mon homosexualité. Je suis parti après le lycée pour intégrer l’Université d’Istanbul.

C’était la première fois que je débarquais à Istanbul. Contrairement à tout ce que l’on m’a dit avant de venir, je n’ai pas trouvé cette ville cosmopolite. Après trois mois, je me suis aperçu que c’était une ville bizarre, avec toutes sortes de personnes « non-recommandables »: des prostitués, des drogués, des nationalistes et des fascistes.

Au début j’ai vécu dans le quartier de Beyazit et je dormais au foyer universitaire. Lorsque je suis venu à Taksim, à Istiklal (nom de l’avenue principale de ce quartier), ce n’était pas comme je l’imaginais. Je m’attendais à un endroit plus amusant mais il n’y avait pas grand-chose à part beaucoup de gens qui marchaient !

Ensuite j’ai trouvé beaucouuuuuuuuup (sic) de bars. Le premier, c’était Tek Yön (sens unique), un club gay. Après, j’ai commencé à aller à Eko, un autre bar gay. Là-bas, j’ai fait la connaissance d’Anil, un garçon très mignon mais toujours intéressé : il me demandait beaucoup de choses. Eko est normalement un lieu très malsain. La prostitution y est très courante, des travestis se vendent à des vieux. C’est un endroit assez sale mais Anil était comme une fleur là-bas. Je me suis aperçu par la suite qu’il était quelqu’un de pas net, il me demandait souvent de l’argent.

Puis, je suis devenu ami avec Kenan, un travesti. Avec Kenan, on allait tout le temps au Club 17, un bar gay aussi. C’était surtout un endroit pour les garçons qui cherchaient des touristes passifs. C’est-à-dire des touristes qui veulent une relation avec un vrai mec. Au Club 17 j’ai rencontré Emre. Il n’était pas particulièrement beau mais avait des yeux sublimes. Je voulais être son petit ami. On a couché ensemble et au réveil, le lendemain matin, c’était comme un cauchemar. Il m’a dit qu’il cherchait seulement quelqu’un pour oublier son ex, ce que je n’avais pas réussi à faire.

Après cette mésaventure, j’ai commencé à aller à X Large, un bar nouveau et normal cette fois-ci où l’on trouve à peu près tout le monde sauf les gigolos. Là-bas j’ai rencontré la personne que, maintenant, je hais le plus : Atakan. Il m’assurait tout le temps qu’il n’était pas un gigolo et que je pouvais lui faire confiance. On est parti ensemble à Antalya (célèbre station balnéaire) pour des vacances, à mon compte. On est resté là-bas, on s’est amusé avec mon argent. On est retourné habiter à Istanbul encore avec mon argent. Il m’a même trompé avec quelqu’un d’autre, toujours avec mon argent !

J’ai tout fait pour Atakan jusqu’à ce qu’il me trompe. Il m’a pris mon argent, mes espoirs, mes sentiments : il a pris presque tout de ma vie sauf ma famille. Je n’ai rencontré que des gens qui m’aimaient pour mon argent, mon physique, mais jamais pour mon cœur, ma personnalité, ou tout simplement pour ce que je suis.

Chaque semaine, je sors les mercredi, vendredi et samedi soir. On va surtout au café gay Mor Kedi (le chat violet), on discute entre amis, on fait « gullüm » (qui veut dire « s’amuser » en lubunca, l’argot gay d’Istanbul).

Dans la vie quotidienne je m’interdis beaucoup de choses pour ne pas montrer mon identité sexuelle. Je ne peux pas vivre comme je voudrais, je ne peux pas avoir des comportements plus féminins. Quand quelqu’un apprend que je suis gay, c’est comme une honte pour moi. Comme je me réprime dans la vie quotidienne, je me défoule la nuit dans les boîtes gay.

Istanbul, avec ses aspects mauvais et bons, avec ses bonheurs et ses souffrances, c’est ma vie. Je ne suis pas fatigué d’Istanbul. J’ai vécu tous ces évènements à Taksim, si j’étais resté à Mersin je n’aurais pas pu les vivre. »

P.S. : Bahadir revoit toujours sa famille. Mais, comme il l’a lui-même mentionné, peu osent avouer leur homosexualité à leurs proches. Même si les homosexuels en Turquie sont confrontés à des situations individuelles très différentes, les violences homophobes, notamment de la part des forces de l’ordre constituent un grave problème. Les cas de crimes d’honneur contre des homosexuels sont extrêmement rares mais les menaces de meurtre sont plus souvent une réalité.

Pour plus d’informations.

(Visited 1,690 times, 1 visits today)

Leave a Reply