Dans la ville blanche

Le premier web-documentaire du genre au Maroc

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Zara Samiry est aussi réservée sur elle-même que sur la vie des autres que ses photos dévoilent. À 29 ans cette jeune casablancaise aime se définir comme « photographe sonore » ou « photographe sociale » plutôt qu’artiste. Pour elle la photographie et le son ne peuvent se dissocier, seul leur mariage parvient à refléter le vrai dans toute sa complexité.

Casablanca: une ville riche de ses habitants

Dans la ville blanche, premier web-documentaire du genre au Maroc, nous livre des portraits de Casablancais lambda, ouled chaâb (enfants du peuple) comme on les appelle ici. Le gardien de voiture, le pâtissier ou encore la femme de ménage… Tous ces gens que l’on croise au quotidien, ignorés au mieux ou méprisés par la bourgeoisie locale, mais qui peuplent la ville de Casablanca et représentent la majorité de ses habitants. La masse oubliée qui constitue le souffle vital de cette mégalopole.

Les photographies de Zara Samiry, en couleur, s’approchent au plus près de la réalité. Point de mise en scène travaillée ou de décor artificiel qui dénatureraient le rendu final. On est directement plongé dans les intérieurs, lieux de vie ou de travail des personnages sélectionnés au gré du hasard. Le résultat est saisissant, on reste littéralement captivé par l’environnement quotidien de ces êtres authentiques, partageant avec eux une intimité rare.

Afin de mettre à l’aise ses interlocuteurs et ôter leur méfiance première elle se raconte aussi ; la rencontre se transforme alors en véritable échange : «Il faut que ce soit spontané, c’est eux qui dirigent la conversation sans que j’en perde le contrôle mais parfois je dois m’efforcer de les faire parler de choses difficiles».

Le montage est un travail long et minutieux, il s’agit de sélectionner les passages les plus évocateurs sans altérer le discours global. Ce n’est pas toujours évident ; ainsi pour le portrait du pâtissier, elle a jugé plus respectueux de couper des propos car il s’était trop dévoilé. Enfin, elle a choisi de les nommer, «non pas avec par leur prénom car cela serait trop réducteur mais avec ce qui ressort le plus de leur portrait». On se retrouve ainsi avec des termes désignant un état ou un trait de caractère : «l’incertain», «la mère de famille» ou encore «le commerçant». Des dénominations génériques pour refléter des parcours de vie singuliers, mais que l’on devine être ceux de milliers de Marocains.

Zara Samiry, une photographe fascinée par l’histoire des autres

Jeune-fille introvertie et discrète, Zara Samiry se révèle dans son art même si elle n’aime pas qu’on la considère comme une artiste. Elle lui préfère le qualificatif de photographe sociale. L’humain nourrit son travail et son inspiration. Ce sont souvent des écorchés par la vie portant en eux une souffrance comme les migrants qui sont au cœur de ses projet, tel Exils, sa première série documentaire mêlant photo et prise de son.

Depuis toujours la jeune photographe avoue se sentir en décalage avec sa société d’origine: elle n’en saisit pas les codes et ne se reconnaît pas dans l’identité commune des Marocains. La solution pour s’échapper à ce carcan imposé sera de fuir en France, afin d’y poursuivre ses études. Et là, c’est une renaissance, « par césarienne» précise-t-elle avec un sourire.

Exilée à Paris, tout n’est pas facile, notamment le sentiment de solitude qu’il faut apprivoiser. Durant ces années en France Zara Samiry se construit, s’émancipe et apprend à vivre en femme libre. Elle admet volontiers avancer uniquement par «électrochocs». Les doutes et les remises en question qu’ils induisent nourrissent la création. Après Paris ce sera donc le Rajasthan, en solitaire.

Profondément réservée, Zara Samiry a dû se faire violence pour trouver le courage d’aller vers l’Autre. C’est sur un coup de tête qu’elle décide de partir en Inde en 2009, avec en poche uniquement 100 euros et son appareil photo. Pendant ces deux semaines qui lui semblent une éternité, elle connaît la faim, voit la pauvreté extrême mais réussit à affronter sa peur. Cette confrontation avec la réalité crue des vies dépouillées de tout superflu est déterminante pour appréhender son métier. Un voyage initiatique qui lui permet d’acquérir une profonde empathie, qualité essentielle dans l’exercice de la photographie.

La ville blanche au-delà des apparences

Cette envie de parler des sans voix est le fruit d’une grande sensibilité. Touchée par ces destins oubliés, Zara Samiry cherche à retranscrire ces vies ignorées qui ne retiennent l’attention de personne dans une société où si l’on n’a rien, on n’est rien.

Recueillir ces témoignages uniques, c’est un moyen pour la photographe de se sentir appartenir à cette ville, de jouer un rôle de passeur de mémoire. Aller à la rencontre de ces anonymes pour partager « leur vécu, leurs histoires, leurs peines, leurs souffrances, leurs joies et leurs espoirs » lui a permis de se réconcilier avec sa ville natale et d’aller au-delà des clichés et des préjugés qui pèsent sur elle.

Grâce à Dans la ville blanche, empreint d’une esthétique poétique, la jeune photographe est parvenue à changer son regard sur Casablanca et à affronter son pays qu’elle avoue «avoir abandonné lâchement, avec un goût d’inachevé». Casablanca, ville riche de sa matière humaine qui offre, en dehors de ses trottoirs défoncés et de ses embouteillages, l’énergie folle de ses hommes et de ses femmes ordinaires qui luttent pour vivre.

Zara Samiry a réussi son pari en leur rendant un hommage poignant, sans voyeurisme ni misérabilisme. De leurs portraits se dégagent une profonde dignité et la modestie de ceux que la vie n’a pas épargnés mais qui n’ont plus rien à prouver.

Cet article, pour Marianne Roux-Bouzidi, a été publié avec l’autorisation de Babelmed, partenaire de Mashallah News.

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