Design en liberté à Alexandrie
Si on a plutôt tendance à penser à Beyrouth ou au Caire comme les villes phares de la création et du design au Moyen-Orient, un nouveau pôle de création de design contemporain est en train d’émerger dans la deuxième ville d’Egypte.
ENCODE signifie « Egyptian Node for Collaborative Design » et a été fondé par un petit groupe d’architectes, pour la plupart diplômés de l’Université d’Alexandrie. Plus qu’un studio de designers, c’est aussi un laboratoire de recherche explorant de nouvelles techniques informatiques appliquées au design. Ebtissam Farid, Mohamed Zaghloul, Ahmed Hassan et Ahmed Abouelkheir l’ont créé avec les moyens du bord, en investissant leurs propres économies.
Ils ont présenté pour la première fois les résultats de leurs travaux dans le cadre de l’exposition Design is a verb organisée par le Centre des Arts de la Bibliothèque d’Alexandrie en juillet dernier. « Il y avait un appel à propositions pour participer à cette exposition de design, on a répondu et on a été retenus par le jury », explique Ebtissam avec un sourire. Une bourse artistique du British Council leur a ensuite permis de fabriquer les premiers prototypes.
Ces derniers étaient, dans leur grande majorité, issus de leur principal programme de recherche dénommé « Ornamatics », qui ambitionne de développer une nouvelle vision des motifs islamiques traditionnels à travers les mathématiques et les outils numériques. D’après le groupe, ce patrimoine évolue de moins en moins et a tendance à se scléroser en se déclinant à l’envie dans une pure répétition de la tradition. Ils ont donc voulu lui donner une nouvelle vie en explorant de nouvelles techniques, en particulier l’expérimentation des systèmes mathématiques. Les motifs décoratifs développés par l’art islamique sont d’ailleurs des figures purement géométriques, les artisans et artistes de la région les manient sans s’en rendre compte depuis des siècles dans un pur intérêt esthétique.
Quand on demande aux jeunes designers d’ENCODE comment leur est venue l’idée de travailler sur les motifs islamiques, ils expliquent que la révolution leur a posé la question de l’identité égyptienne et de sa redéfinition. Cela les a conduits à vouloir revenir aux « sources » de leur identité. Cette démarche représentait aussi un bon moyen de montrer au public les potentialités qu’offrent l’informatique et les mathématiques appliquées au design. Les transformations des lignes et des formes sautent aux yeux quand les motifs originaux sont bien connus, ancrés dans l’inconscient collectif et la culture populaire locale. Le résultat donne une sensation de distorsion et de contorsion infinie des thèmes traditionnels du décor islamique, habituellement plus sages et plus figés.
Les designs d’ « Ornamatics » se déclinent sur toutes sortes d’objets du quotidien, des tables aux rideaux, et sur tous types de matériaux : bois, carton, plexiglas, plastiques ou tissus. Ahmed Abouelkheir précise qu’il s’agit pour l’instant d’essais, ils n’excluent pas de passer à la production dans un but commercial.
En dehors de tout objectif marchand, il existe des valeurs que les membres d’ENCODE cultivent avec passion : celles du travail collaboratif et de la transmission. Ses membres sont ainsi convaincus que la collaboration et le partage représentent le meilleur moyen de faire avancer leurs projets, mais aussi leur société. Mohamed Zaghloul par exemple, le plus calé en maths du groupe, aide en permanence ses collègues sur les points techniques. Chacun apporte d’ailleurs ses idées et son savoir-faire dans la création commune du groupe, si bien qu’aucune des pièces créées n’est signée par un designer individuellement, mais par ENCODE de façon collective.
Les recherches et techniques développées par ENCODE se déclinent déjà dans d’autres domaines : la créatrice de bijoux Eman Banna (Eman Design) a ainsi rejoint le studio, pour se former aux techniques mathématiques et les appliquer à ses propres créations. Elle en a tiré une collection de bijoux qui fait intégralement partie du programme « Ornamatics ».