Drôles de salafistes

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Des fillettes en robes blanches font la ronde et jouent au ballon dans un jardin aux couleurs pastel, floutées par une brume féérique. Un air joyeux et enfantin se mêle aux rires innocents. Un clip de promotion pour un parc d’attraction ? Une publicité pour une marque de jouets ? L’apparition d’un homme à la barbe fournie nous oriente sur la bonne piste : il s’agit d’une vidéo vantant les mérites du parti salafiste Al Nour, diffusée sur le web égyptien.

Une petite fille à la longue chevelure brune interrompt ses jeux pour venir discuter politique. Le monsieur barbu répond à ses questions avec un sourire angélique.

« Dis tonton, est-ce que c’est vrai ce que l’on dit, que le parti Al Nour va forcer les femmes à porter le niqab ? »

« Non, bien sûr, ce n’est pas vrai. Celle qui veut porter le niqab, qu’elle le porte, et celle qui ne veut pas le porter, c’est son choix. Beaucoup d’oulémas lui donnent raison », répond le salafiste.

« Et est-ce que, comme dit maman, le parti Al Nour va empêcher les femmes de travailler et les obliger à rester à la maison ? »

« Non, ça n’arrivera pas, car les femmes sont au cœur de la société. Mais dans leur travail, on préservera leur dignité et leur liberté. »

Puis notre homme prend la petite fille par la main et l’embarque dans un tour de l’Egypte rêvée par les salafistes : « Pour que tu rassures ta maman », lui dit-il. Il l’emmène voir une école et un hôpital, puis la fait monter dans un car très confortable pour aller faire un tour à la campagne. Chaque lieu est propre, bien ordonné, moderne : de quoi ravir l’Egyptien moyen, qui se retrouve chaque jour écrasé par la foule dans un bus poussif, ne peut en général pas se faire soigner faute d’argent, et dont les enfants n’apprennent rien à l’école, dans leurs classes de 50 élèves… Pas sûr que les Egyptiennes, par contre, soient rassurées par le « rêve salafiste » : pas d’institutrices, de doctoresses, ni de paysannes dans le clip d’Al Nour. femmes sont absentes de ce monde parfait. Seules des petites filles apparaissent, pour poser les questions qui taraudent la gent féminine.

« Ils disent qu’ils ne vont pas empêcher les femmes de travailler, mais il n’y en a aucune dans les lieux qu’ils nous montrent. C’est un peu contradictoire ! » note Bola Abdu, un militant des droits de l’homme originaire de Qena, dans le sud de l’Egypte. Et pour cause : les salafistes considèrent qu’il est « haram » de montrer une femme à l’écran.

Ce clip de campagne a fait à la fois rire et enrager tout ce que la blogosphère égyptienne compte d’activistes pro-démocratie. On s’est moqué de cette absence féminine incongrue, de la musique « hallal » particulièrement mauvaise, du jardin d’Eden peuplé de petites filles… C’est sur ce dernier thème qu’un remake a été concocté : le monsieur barbu devient un pédophile qui se fait passer pour le Père Noël, et ses sourires mielleux à la fillette prennent un tout autre sens. Une parodie choquante pour beaucoup de jeunes Egyptiens. « C’est vulgaire et vraiment pas drôle », juge Asmae, une étudiante en lettres. « Pourtant les points à critiquer dans ce clip ne manquaient pas. » Selon Bola Abdu, cette deuxième vidéo risque même d’être contre-productive : « Les gens vont trouver que c’est honteux de représenter des hommes religieux comme ça, et du coup ils vont se dire que décidément les libéraux ne respectent rien, tandis que les gens d’Al Nour, eux, ont des valeurs. »

Avec leur propension à rire de tout, les Egyptiens multiplient les blagues raillant les salafistes, et plus encore depuis que ces derniers ont raflé près de 25% des voix aux élections législatives. Asmae raconte celle qu’elle a entendue récemment d’un ami étudiant :
Un salafiste monte dans un taxi. Il demande au chauffeur d’éteindre la radio : « La radio n’existait pas au temps du prophète Mohammed. » Le chauffeur éteint la radio, puis s’arrête. « Les taxis n’existaient pas non plus à l’époque du prophète : je t’invite à descendre et à attendre le passage d’un chameau. »

Pour certains Egyptiens effrayés par la montée en puissance des islamistes, ces blagues aident à dédramatiser la situation. Mais l’humour qui ridiculise les salafistes semble rater sa cible : il ne fait rire que ceux qui les détestent déjà.

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