Flâneries au cœur d’Istanbul

Taksim selon l'écrivain Ahmet Ümit

Au gré d’une promenade, l’écrivain turc Ahmet Ümit égrène commentaires et anecdotes sur ses endroits favoris du centre d’Istanbul. Petite visite guidée du bouillonnant quartier de Taksim.

Alors que le polar est un genre marginal en Turquie, les œuvres d’Ahmet Ümit rencontrent à la fois un succès populaire et critique. Elles sont traduites dans plusieurs langues. Un de ses livres (Sis ve gece, Le brouillard et la nuit) a été porté à l’écran en 2007. S’il est devenu l’un des écrivains contemporains turcs les plus célèbres, c’est sans doute parce qu’il sait admirablement transposer dans ses romans les aspects les plus obscurs de la société et de l’Histoire.

Dans son dernier livre Istanbul Hatirasi (Les Mémoires d’Istanbul), il invite le lecteur dans les tréfonds les plus sombres des mythiques Byzance, Constantinople ou Istanbul. Car quelle que soit l’époque, le crime est une constante. Il est un fin connaisseur de la ville et surtout de Taksim, son quartier préféré et où est situé son bureau. « C’est comme une petite Terre ici, c’est le quartier le plus cosmopolite d’Istanbul », raconte l’écrivain, « depuis la fin du XIXème siècle c’est là aussi que ce sont installées toutes les ambassades des pays occidentaux. C’était comme une porte sur l’Europe ! »

Il aurait les moyens de partir ailleurs, dans un lieu plus huppé ou plus calme. Mais Taksim est comme une drogue, il est très difficile de s’en passer. « C’est toujours à Taksim que je m’amuse le mieux », affirme-t-il. « C’est un endroit coloré, il y a des gens de toutes les nationalités, de toutes les religions, de toutes les orientations sexuelles ». Centre de la vie culturelle et nocturne, c’est un lieu unique où se croisent touristes, maquereaux, chômeurs, midinettes et activistes en tous genres avec en arrière-plan de sublimes bâtiments Art Nouveau du début du XXème siècle.

Place de Taksim (bleu)

« J’avais 18 ans à l’époque où je suis arrivé à Istanbul en 1978 pour commencer mes études. C’était un lieu très important pour des raisons politiques. Le 1er Mai 1977 sur cette place 34 personnes ont été tuées au cour de la célébration de la Fête du Travail. Une fois, nous faisions une manifestation à côté de l’arrêt du tramway. Je suis monté sur une voiture pour faire un discours. C’était merveilleux, je me sentais comme sur un nuage. Durant ces années là j’étais au parti communiste turc qui a été interdit ensuite. J’ai commencé à militer lorsque j’avais 15 ans par l’intermédiaire d’amis. Je n’avais pas trop conscience des enjeux politiques, par la suite j’ai commencé à lire de nombreux livres et je me suis rendu compte que le communisme était ce qui me correspondait. En 1985, je suis parti à Moscou pour les études et mes idées ont alors changé. Je me suis rendu compté qu’il y avait un fossé entre ma vision du communisme et ce que j’observais. C’est aussi là-bas que j’ai décidé de devenir un écrivain. »

Les Cinémas AFM (rouge)

« Une fois nous avons fait une manifestation illégale sur l’avenue Istilkal [artère majeure de Taksim]. Et, quand la police est arrivée, je suis entré dans un cinéma. C’était un cinéma pornographique [aujourd’hui c’est un cinéma très moderne qui passe surtout des films américains, ndlr.]. En fait, on s’est tous retrouvés dedans pour se cacher. Le porno a sauvé notre vie ! »

Afrika Han (jaune)

« Il existe des bâtiments qui caractérisent Taksim dont Afrika Han [hôtel d’Afrique] fait partie. À la fin du XIXème siècle un pacha s’appelant Ragip a fait construire ce han ainsi que deux autres aux noms de Rumeli Han [l’hôtel d’Europe] et Anadolu Han [pour Anatolie ou Asie Mineure]. Ce sont les trois continents sur lesquelles s’étendait l’Empire Ottoman. Ce sont des témoignages du passé d’Istanbul. Ces bâtiments nous permettent de faire la comparaison entre l’Empire Ottoman et la période républicaine après 1923. »

La Librairie de Samarkande (vert)

« C’est là où j’achète mes livres. Je viens depuis dix ans, je suis ami avec le propriétaire de la librairie. Sur les murs vous pouvez voir mes interviews. Ici, je peux commander des livres anciens que je ne trouve pas ailleurs. En général je lis des romans mais quand je commence à écrire un livre, je lis des livres qui concernent mon sujet, par exemple cette fois j’ai écrit un bouquin sur Istanbul donc j’ai lu beaucoup de livres sur la ville. »

Le Restaurant Lades (violet)

« C’est mon endroit préféré pour déjeuner. Le midi je ne bois pas d’alcool, c’est pourquoi je viens ici. Par contre, le soir je vais dans un restaurant qui sert de l’alcool. Les plats sont vraiment délicieux, quand je les déguste je pense à la cuisine de ma mère. À Gaziantep [Sud-Est de la Turquie], d’où je viens, nous avons vraiment une cuisine très variée qui n’est pas seulement composée de kébabs et de baklavas. Par exemple il y a un plat qui s’appelle Sarma : des feuilles vigne farcies avec du riz et des épices. Quand vous commencez à en manger, il est impossible de s’arrêter ! La nourriture est très importante pour moi. Dans ma vie il y a trois choses fondamentales : manger, l’amour et l’art ! »

Trouvez tous ces lieux sur cette carte géographique.

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