Je veux me marier

Jours tranquilles au Caire

Ghada books

« Et maintenant, vous êtes mariée ? ». Ghada imite une journaliste imaginaire. Elle se méfie des questions toutes faites. Cette question là, elle l’a entendue souvent depuis que la pharmacienne de Mahalla, vingt-huit ans cette année, est devenue une icône régionale grâce à son blog, Je veux me marier (Ayza atgawez). Recueil de fables urbaines sur le célibat féminin, commencé en 2007, il a connu un succès immédiat en Egypte. Un an plus tard, il a été publié sous forme de récit par la maison d’éditions Dar el shorouk, puis traduit dans une dizaine de langues après être devenu un best-seller en arabe (La ronde des prétendants en français, éditions de l’Aube), mais aussi adapté en série télévisée. Depuis, Ghada est auteure et scénariste. Elle prend l’avion régulièrement pour des rencontres avec ses lectrices. Sa vie a changé. Mais elle n’est pas mariée, non, toujours pas.

Comme chaque semaine, Ghada est de passage au Caire pour la journée. Elle boit à la paille un café élaboré qui ressemble à une coupe de glace. Des fenêtres, nous apercevons l’Université Américaine du Caire, rue Mohamed Mahmoud. Voilée de couleurs, le regard franc, le rire facile, elle revient sur son épopée, celle qui doit faire rêver toutes les jeunes plumes du pays. «  A l’époque, la majorité des blogs tenus en Egypte étaient politiques. Le mien traitait de questions sociales et il est devenu populaire dès le deuxiême billet. C’est aussi parce que le titre était jugé provocateur. Derrière cette phrase, Je veux me marier, beaucoup ont lu une velléité de vouloir faire l’amour, alors que je ne parle pas du tout de sexe dans mon blog ».

« Beaucoup de gens n’ont pas compris pourquoi mon personnage était aussi désespéré à l’idée de rester célibataire. Mais c’est la pression de la société dans laquelle elle vit qui la rend si sensible à la question du mariage. Une de mes amies traductrices, qui a été élevée en France mais travaille aujourd’hui au Caire, et dont la famille vit encore en France, s’est sentie obligée en emménageant seule dans son appartement d’expliquer à son bawwab que si parfois elle rentrait tard, c’est parce qu’elle travaillait à la télévision ! »

« Dix huit mois après le début du blog, Dar el shorouk m’a proposé de publier ces textes qui étaient consultables gratuitement en ligne. Je ne comprenais pas qu’ils aient envie d’en faire un livre, d’autant qu’à aucun moment ils ne m’ont demandé de retirer le contenu de mon blog. Quand je suis allée les voir, ils se sont assurés que c’était bien moi qui avais écrit le livre, parce que dans la vie, je suis timide et pas très drôle… ».

Je proteste, elle rit. « Le livre est devenu un best-seller dès le premier mois. Aujourd’hui, il s’est vendu à 70.000 exemplaires. C’était une première : une fille de moins de trente ans, publiée par Dar el Shorouk, la plus grande maison d’éditions du monde arabe ! »

« Je viens de Mahalla, une petite ville du Delta, je ne connaissais rien à l’édition. Pour moi, devenir écrivain, c’était au-delà de mon imagination, c’était comme devenir astronaute. Je pensais que si l’on n’était pas un homme de plus de soixante ans résidant au Caire, on n’avait aucune chance de devenir écrivain. Je croyais que pour être écrivain, il fallait être mort ».

Il est l’heure pour Ghada de poursuivre sa journée de rendez-vous de travail. Plus tard, elle rentrera à Mahalla dans l’appartement familial, vide depuis la mort des parents. Son frère insiste pour qu’elle emménage avec lui et sa nouvelle femme, mais elle n’a pas envie. Ghada veut des enfants, mais pour en avoir, il faut se marier. Pour l’instant, elle vit seule. Plus tard, elle verra.

Cette chronique datée du 12 mai 2013 a été publiée dans l’ouvrage Jours tranquilles au Caire (Riveneuve, 2015), d’Isabelle Mayault.

 

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