Vue sur la guerre en Libye

D’habitude anonyme et déserte, Dehiba, ville-frontière entre Tunisie et Libye, est devenue en l’espace de quelques semaines un centre peuplé de journalistes, de travailleurs humanitaires et de militaires. Submergée par les milliers de réfugiés qui la traversent, la bourgade de 4.000 habitants s’habitue, bon gré mal gré, à sa nouvelle notoriété pendant que les obus continuent de pleuvoir.

Aux frottements rêches de la spatule sur le mur de briques succèdent, par intermittence, les bruits sourds de la guerre. Un sifflement dans l’air, une seconde de silence, et le fracas de la détonation. « Boum ». Mourad continue à enduire son mur, les manches relevées. « Dans un mois, je me marie, il faut que termine la façade de ma maison. Ma priorité, elle est là. » Au début du conflit, posté sur sa terrasse, il pouvait rester des journées entières à regarder les obus tomber, de l’autre côté de la frontière, en Libye. Mais de ce spectacle, il s’est lassé, comme de ses voisins qui lui demandent s’ils peuvent venir prendre le thé, et profiter de la vue sur la guerre. Mourad habite la dernière maison de Dehiba, la maison la plus proche de la Libye. A 600 mètres de chez lui, la frontière, qu’il dessine d’un geste de la main. Pas de barbelé, juste le désert. Et son terrain, où régulièrement, il récupère quelques éclats d’obus. « Je les garde en souvenir, mais je les cache, j’ai pas envie que les enfants du quartier jouent avec ».

Une ville de réfugiés

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En quelques semaines seulement, Dehiba, petite ville frontalière de 4.000 habitants, a vu passé des dizaines de milliers de réfugiés libyens. Près de 50.000 personnes ont traversé la frontière pour se mettre à l’abri en Tunisie. Des familles – femmes, enfants et vieillards –, que le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (UNHCR) a accueilli dans deux camps, pour les moins fortunés d’entre eux. Les autres patientent dans des hôtels et résidences de Djerba ou de Tataouine.

Amir est arrivé à Dehiba il y a 3 jours. De Nalout, avec toute sa famille. « Là-bas, il n’y a plus personne en ville, les rues sont vides, les commerces fermés depuis deux bons mois…il ne reste que les rebelles, et s’ils reculent, les mercenaires de Kaddhafi brûleront tout…Ici, on a été bien accueillis, mais les enfants ont peur, dès qu’ils entendent les bombes tomber. Le bruit les réveille dans la nuit, et pendant la journée, ils se mettent à pleurer ». Pour leur changer les idées, le Croissant Rouge organisent des ateliers de dessin, de poterie, et des matchs de football. Une dizaine de jeunes femmes tunisiennes s’y sont associées, pour aider. « Moi, je suis de Remada (à 50 km de Dehiba). Quand je vois ce qui se passe tout près…Bon, je fais pas grand-chose, ça ressemble à du baby-sitting parfois, mais ça me plaît » reconnaît Amina, 17 ans. A la fin des ateliers, elle distribue drapeaux et badges de la rébellion libyenne aux enfants, en guise de récompense.

A l’hôpital de Dehiba, la salle d’attente est l’endroit le plus prisé par les locaux : infirmiers, militaires et journalistes s’y croisent. On s’y rafraîchit, près du climatiseur, on y discute, assis sur des fauteuils roulants normalement réservés aux patients. On y fait les comptes. « Combien de Libyens sont passés aujourd’hui ? Tu as entendu le nombre de bombes tombées hier ? Ça devrait arriver en masse tout à l’heure… ». Et dans cette salle, surtout, on attend. Des heures, des journées sans parfois voir un seul blessé. « Les Kaddhafistes ont repris du terrain, et peuvent désormais tirer sur les véhicules qui prennent la route vers Nalut » explique Mohammed, l’infirmier. “L’ambulance ne passe plus depuis hier … ni aucun véhicule libyen, c’est trop dangereux. Alors oui, il y a des gens blessés de l’autre coté la frontière, mais nous ne pouvons malheureusement rien faire pour l’instant”.

Dans la ville, seuls les commerçants n’ont pas changé leurs habitudes. Ali, le cafetier, est toujours aussi adroit. Le même geste du poignet, répété à l’infini – attacher la manette au socle de la vieille machine Cimbali, attendre que l’eau pénètre dans le café tassé et rende son allongé au compte-goutte. Assis ou au comptoir, les hommes ont les yeux braqués sur la télévision. Les bulletins d’informations d’Al-Jazeera les informe de ce qu’il se passe à quelques kilomètres de chez eux, de l’autre côté des montagnes. Sur la route principale, l’unique restaurant de la ville n’a pas touché à son menu. Les curieux pleins de devises sont passés, médias et humanitaires en tête, mais le cuisinier a préféré rester fidèle à ses « spaghettis sauce spaghettis ». Jusqu’ici, personne ne s’arrêtait jamais à Dehiba.

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