Le boucher

Après vingt ans d’exil en Suisse et en France, Houssam Bokeili, de père libanais et de mère égyptienne, revient au Liban en 1994. La même année, il expose au Centre Culturel Français de Beyrouth une série de peintures à l’huile qui traduisent l’effroi de l’artiste face à l’ampleur de la destruction et aux traces de la violence qui ont défiguré son pays. ‘Le boucher’, saisissante évocation de la guerre civile, met en scène un artisan boucher découpant des cadavres dans sa boutique, pendant qu’au second plan, des enfants jouent à la balle dans la rue. Exposée en mai dernier dans le cadre de l’exposition Le bus et ses répliques, au Hangar, Houssam Bokeili est revenu pour Mashallah News sur la genèse de ce tableau.

«En 1975, j’avais neuf ans. Quand je suis revenu en 1994, dans mon quartier de Basta, la population avait beaucoup changé. Avant mon départ, c’était un quartier très mixte. Comme la Dahiye. Avant la guerre, c’était à 70% chrétien et à 30% chiite. Basta a changé aussi, à cause des transferts de population et est aujourd’hui majoritairement chiite. Druzes, arméniens, chrétiens et sunnites sont, pour la plupart, partis.

Quand tu arrives après vingt ans d’absence, tu ne trouves plus tout ce que tu cherches.

Quand tu arrives après vingt ans d’absence, tu ne trouves plus tout ce que tu cherches. A la base, je voulais revoir un magasin de jouets de mon enfance que j’avais envie de peindre. J’ai cherché, tourné dans les rues voisines, mais il n’en restait plus rien. Un peu plus loin, en revanche, je suis tombé sur la boucherie de la rue, qui, de loin, ne semblait pas avoir bougé.

Dans le temps, ce boucher était un vrai artisan, il faisait son métier avec sérieux. Il était bien habillé, propre sur lui, je me souvenais de son matériel bien rangé. Et là, même s’il s’agissait bien de la même personne, du même boucher, sa boutique, elle, n’avait plus rien à voir. La viande était accrochée en plein air, il y avait du sang partout.

Comment c’est possible de ne pas évoluer, de régresser dans son propre métier ?

Je ne comprenais pas comment il pouvait avoir changé comme ça. Je devais trouver un moyen de montrer ce changement. Je devais exprimer d’une façon ou d’une autre que les gens avaient changé, et comment les gens qui sont restés ont changé. Comment c’est possible de ne pas évoluer, de régresser dans son propre métier ?»

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