La révolution d’une jeune Soeur Musulmane

Sara a 18 ans. Etudiante en communication à l’université MIU, elle vit dans le quartier résidentiel cairote de Nasr City avec ses parents et sa soeur. Elle aime le basket et enseigne le Coran à la mosquée voisine. Avant le début de la révolution, elle avait déjà activement participé aux rassemblements organisés par le mouvement du 6 avril. Individuellement mais aussi en tant que membre du mouvement des Frères Musulmans, auquel sa famille appartient. Depuis, Sara a grandi. En seulement 18 jours sur Tahrir, elle a compris l’importance du rôle qu’elle pouvait jouer dans la société égyptienne et n’a pas l’intention d’y renoncer.

« J’ai vu l’appel au rassemblement sur Facebook. Les Frères Musulmans n’avaient pas appelé officiellement à notre participation. C’était un choix personnel d’abord », explique Sara. Le 25 janvier dernier, elle se rend spontanément sur la place Tahrir, sans imaginer qu’elle va y vivre nuit et jour pendant trois semaines. « C’était un rassemblement en mémoire de Khaled Said, jeune militant tué à Alexandrie en juin dernier par la police égyptienne. Les médias pro-gouvernementaux disaient que c’était un voyou, il fallait protester. Les gens voulaient aussi la démission du ministre de l’Intérieur. On avait beaucoup d’espoir, peut-être parce qu’il y avait eu la Tunisie juste avant », se souvient la jeune militante.

Après les manifestations du 28 janvier, Sara décide de ne pas rentrer chez elle. Sur Tahrir, elle cherche à se rendre utile, s’improvise infirmière, porte-parole, cuisinière. Avec elle, 80 jeunes Sœurs Musulmanes en moyenne dorment sur la place. « Sara est très modeste, précise son ami Abdel Rahman, lui aussi membre des Frères Musulmans. La plupart des filles de son âge qui étaient sur Tahrir étaient accompagnées de leurs parents, de leurs frères. J’en connais une à qui ses parents louaient une chambre d’hôtel juste en face. Sara était toute seule ». Dans la famille de Sara, c’est le père qui était en charge de la maison et des enfants pendant que la mère rejoignait sa fille aînée quand elle le pouvait.

« Je me suis fait des tas de nouveaux amis, explique Sara, enthousiaste. Des libéraux, des socialistes. Les locaux du parti socialiste étaient juste à côté de Tahrir, plusieurs fois ils m’ont laissé y dormir et m’ont offert du café. Sinon, on dormait dans une mosquée derrière la place qui faisait alors office d’hôpital. C’est comme ça que je suis devenue infirmière pendant cinq jours ! ». Bien sûr, ses amis et les membres de sa famille lui ont recommandé de rentrer chez elle, arguant que c’était dangereux. « J’ai des amies dont les parents leur ont interdit de sortir. Moi, j’avais seulement le sentiment que je devais être là, et nulle part ailleurs. Et mes parents m’ont laissé faire».

Une hiérarchie devenue obsolète

« Pendant 18 jours, personne ne m’a demandé à quoi j’étais affiliée, commente Sara. On se sentait égyptiens avant le reste. C’est après Tahrir qu’on a commencé, mes nouveaux amis et moi, à discuter de nos différences politiques ». Et c’est là la première caractéristique de la nouvelle génération de Frères Musulmans : leurs contacts avec d’autres factions politiques favorisent leur indépendance d’esprit. Sara tient à l’égard de son organisation un regard affranchi, lucide : « Le fait de parler à d’autres gens, de participer à des débats, m’a fait prendre conscience que les Frères Musulmans devaient s’ouvrir plus sur l’extérieur, faire des progrès en communication. Comme je suis étudiante en communication, ces questions m’intéressent ».

L’expérience de Tahrir n’a fait que renforcer les convictions féministes et démocratiques de Sara. « Chez les Frères Musulmans, l’idée que les femmes sont faites pour rester à la maison et s’occuper des enfants est encore très répandue, développe-t-elle avec passion. Ça doit changer. Les femmes doivent participer à la vie politique, les Sœurs Musulmanes doivent avoir des représentantes au sommet de la hiérarchie ». A ce jour, aucune femme ne participe au comité exécutif des Frères Musulmans et les femmes les plus haut placées dans la hiérarchie du parti ne sont égales qu’à un homme de position moyenne.

A en croire le témoignage de Sara, la révolution est déjà en marche à l’intérieur du parti. « Je crois qu’ils ont très peur de nous depuis les événements de janvier » dit en éclatant de rire la jeune militante. « Ils savent quel rôle on a joué sur Tahrir, alors ils essayent d’écouter nos revendications. Mon chef nous a carrément demandé : ‘Qu’est ce que vous voulez qu’on fasse pour vous ?’ ». Sara n’a pas attendu qu’on lui pose la question. Elle a pris l’initiative du rendez-vous avec son supérieur pour lui exposer sa façon de penser sur les réformes à entreprendre au sein du parti. « Je lui ai dit que les Sœurs devaient absolument faire partie du processus de prise de décision. Et qu’on avait besoin d’être représentées par des femmes à la tête du parti. Il était abasourdi ! » se souvient Sara, fière de sa intervention.

« Dans l’Islam, les hommes et les femmes sont égaux » intervient la mère de Sara. « Au temps du prophète Mohamed, les femmes travaillaient, elles se battaient, même. Elles dirigeaient des mosquées. Il faut que la mentalité égyptienne change, il faut que les Frères Musulmans acceptent de se réformer sur le statut des Sœurs Musulmanes ». Sara reprend : « La révolution doit changer les gens. Avant la révolution, les filles que je connais pensaient elles aussi que leur rôle était de rester à la maison. Cette révolution doit les aider à prendre conscience du rôle qu’elles peuvent avoir dans la société. Si elles le réalisent, c’est toute notre culture qui en sera métamorphosée ».

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