Une vie de pintade à Alger

« Mina Namous ministre ! ».

Le blog « Jeune vie algéroise » est né il y a moins d’un an mais, déjà, des hordes de fans acclament son auteure dans des commentaires enthousiastes et 10.000 visiteurs par mois viennent lire ses chroniques. Les thèmes ne sont à priori pas révolutionnaires – Ramadan, mariage, journée à la plage – mais les textes caustiques de la jeune tchitchi (comprendre : de la haute) piquent la société algéroise là où les conventions grattent. Mashallah News a interviewé Mina à Alger.

Mina Namous cherche à préserver son anonymat.

Mina Namous cherche à préserver son anonymat. Rencontrée dans un café près de son lieu de travail, elle exhorte à la discrétion – baisser la voix et prendre des notes en hiéroglyphes pour éviter que des regards indiscrets ou des oreilles fouineuses ne participent malgré nous à la conversation. Puis Mina rit d’elle-même et explique. « Le lendemain de ma première interview à la radio, en arrivant au travail, je m’étais préparée à ce qu’un de mes collègues m’interpelle pour me dire Je t’ai reconnue ! ». Mina ne critique pourtant pas son employeur dans ses chroniques et n’aborde son travail que de façon très indirecte. Mais si ses collègues avaient vent de ses écrits, résume-t-elle, « ça pourrait devenir pénible ».

De fait, le lectorat grossit de façon exponentielle et, très vite, des médias algériens s’intéressent à elle.

L’auteure a découvert la blogosphère algérienne en commençant à écrire Jeune vie algéroise. Inspirée par des blogs de mode français (Sophie Fontanel, Café mode), dont elle qualifie le contenu de « choses légères », Mina se lance sur Facebook sous son pseudo actuel. Après six ou sept chroniques, on l’encourage à lancer son propre blog pour gagner un public plus large. De fait, le lectorat grossit de façon exponentielle et, très vite, des médias algériens s’intéressent à elle. Une interview dans El Watan week-end et deux émissions de radio plus tard, Mina commence même à recevoir des propositions de travail.

« Autant de filles que de garçons se reconnaissent dans ce que j’écris » commente Mina. De la difficulté de mener sa vie amoureuse à Alger en passant par le top 10 des phrases les plus répétées pendant le Ramadan, Mina relève les hypocrisies de la société dans laquelle elle a grandi et s’en moque avec finesse. Son goût pour la narration plante les personnages et donne à ses chroniques la profondeur de tableaux sociologiques. « Depuis l’article dans El Watan, j’ai eu beaucoup de nouveaux lecteurs. L’une de mes premières lectrices a même cherché à me faire sentir dans ses commentaires qu’elle avait contribué à ce succès. ».

Mina relève les hypocrisies de la société dans laquelle elle a grandi et s’en moque avec finesse.

Les écrits de Mina fédèrent, une communauté de lecteurs se forme. « On finit par s’attacher, commente Mina. Depuis le début, je suis devenue amie avec trois personnes qui lisaient mon blog et m’ont écrit pour me dire qu’elles étaient touchées. Entre eux aussi, d’ailleurs, il arrive que les lecteurs du blog se rencontrent ». L’auteure, généreuse, laisse la porte ouverte à d’autres plumes dans la rubrique « l’invité de Mamzelle Namous ». Le critère unique de sélection est éloquent : « Il suffit que ça me plaise ! ».

Du coup, le blog est enrichi de contributions intimes – une jeune algérienne expatriée à Londres raconte avec auto-dérision le monde sans pitié du dating pendant qu’une algéroise fraîchement revenue de France passe par toutes les étapes de l’humiliation sociale pour parvenir à se faire prescrire une boîte de pilules contraceptives.

« Y a-t-il une corrélation entre jeûne et libido ? »

Revers du succès : les textes de Mina abordant sexualité et religion ne font pas rire tout le monde. Dans Silence on jeûne, par exemple, elle pose la question « que personne n’ose poser à voix haute », à savoir « Y a-t-il une corrélation entre jeûne et libido ? ». « Au début, tous les lecteurs étaient très encourageants, se souvient Mina. Maintenant, j’entends plus souvent ‘On t’aime bien, c’est drôle, mais la religion c’est sacré’. »

« On t’aime bien, c’est drôle, mais la religion c’est sacré. »

Les critiques, depuis quelques temps, prennent plus de place que d’habitude. « Les commentaires insultants gâchent l’espace, même pour les lecteurs, regrette la blogueuse. Je pourrais modérer plus souvent mais je n’ai pas envie de trop censurer. Je ne l’ai fait que trois fois jusqu’à présent, quand c’était vraiment trop vulgaire. Et puis, à l’oral, tout le monde se moque de ces choses là, alors pourquoi ne pas le faire par écrit ? Pourquoi ne pas écrire sur tout ce qui nous touche en Algérie et qui nous paraît banal ? ». Comme ailleurs sur le net, l’anonymat incite les mécontents à laisser libre cours à leur agressivité. « Il y a carrément des gens qui m’ont écrit ‘Change de pays ! Change de religion !’, raconte Mina. J’ai envie de leur répondre ‘Change de blog’ ».

Puisqu’il faut bien en choisir une pour illustrer le travail de Mina, nous republions ici la chronique Mariage et envie d’enterrement, un régal d’absurdité protocolaire.

C’est l’été, les gens se marient, et nous, bah, on les regarde se marier.

Vous n’avez pas envie d’y aller à tous ces mariages, mais vos parents se chargent de vous rappeler que si vous n’allez nulle part, personne ne viendra à votre fête à vous dans quelques années. Et ça vous imaginez pas.

Y a d’abord eu le mariage de la fille de votre plombier.

Vous ne la connaissez pas, mais vos parents tiennent à garder d’excellentes relations avec le monsieur qui vient déboucher votre lavabo trois fois par an, alors ça ne se discute pas. La fille du plombier se marie dans une contrée lointaine et inconnue, Sidi Moussa. Vous y arrivez avec vos talons argentés, et vous découvrez ce que toute jeune fille appréhende : la non-mixité des festivités. Pas même un cousin qui traîne dans la salle avec sa caméra, que des nénettes. Vous auriez su, vous auriez zappé la partie je m’achète un wonderbra. C’est pas ce soir que le célibat finira.

Votre mère aussi est déçue, mais ça ne se voit pas, son visage s’orne automatiquement d’un sourire quand elle entre dans la salle. Vous ne récupérerez votre maman que de longues heures plus tard. La fille du plombier veut vous faire plaisir, alors vous êtes placées à la table d’honneur (avec la femme de l’électricien), juste en dessous de la clim. La clim crache des icebergs, vous allez mourir d’une pneumonie, vous pleurez pour de vrai. Le sourire de la mère se fige un peu et ses pieds vous tapent sous la table. Paraît que ça se fait trop pas de chialer à un mariage. Sauf à faire passer ça pour de l’émotion. Mais vous n’avez jamais été une bonne actrice.

La mariée porte une perruque blonde et un masque sur le visage. Vous vous prenez en photo avec elle, vous pourrez faire croire à vos amis que vous étiez à Londres et que c’est Barbie chez Madame Tussaud.

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